Ma première Transat…
Journal de bord
Il aura fallu 20 jours -et 20 nuits- pour que j’accomplisse ma première Transat. Partis de Sao Antao, au Cap Vert pour arriver à Tobago, voici quelques impressions toutes personnelles.
Est-ce parce que c’était une première ? J’étais sacrément intimidé. Il faut dire que depuis le mois de juin j’errais de ports en ports en vue d’être «éprouvé» pour cette transocéanique. Dire que pendant 35 ans j’étais peinard à caboter dans ma Normandie natale. Puis, allez savoir pourquoi, voilà que le virus du nomadisme m’a touché de plein fouet. D’escale en escale, on m’avait équipé, rajouté des bouts et enlevé d’autres pour que je sois fin prêt.
Et puis, le jour J est arrivé. Lourde responsabilité que la mienne puisque tout l’équipage comptait sur moi pour assurer. Le GPS m’indiquait la route à suivre : 2400 milles pour rallier l’Afrique à l’Amérique…De quoi être fatigué avant même d’avoir commencé. En plus j’étais chargé, je ne vous raconte pas : plein de mangeaille, plein de gasoil, plein d’eau (2000 L!!), plus l’équipage qui allait de 10 à 98 kilos. Une véritable bête de somme !
Nous voilà donc filant vers le large à 7 noeuds, tout dessus, au grand largue. Pendant que j’étais occupé à rattraper la ligne horizontale qui se dessinait devant l’étrave – un travail de longue haleine-, le reste de l’équipage se relayait à la barre pour les quarts. Ça causait, ça causait, pendant que moi je bossais comme un forçat, et le tout, le cul dans l’eau pendant qu’eux restaient au sec! C’est toujours les mêmes qui se font avoir ! Donc, j’ai décidé de faire grève pendant 4 jours. Ma copine météo m’a organisé une petite pétole comme il se doit et nous avons erré ainsi avec le plancton de longues heures. Je ne vous raconte pas la tête de mes occupants devant le speedo qui affichait un beau 0.0 noeuds. Mais, ceux-là étaient résistants, et au lieu de se morfondre, ils se sont baignés dans le grand bleu, ont regardé mon dessous de quille (quel toupet !) et sont même allés jusqu’à se hisser en haut du mât, sans mon autorisation, alors que l’humidité permanente me faisait subir de nombreux rhumatismes.
La pétole n’ayant pas eu raison d’eux, l’alizé est revenu et nous avons continuer la route. Lever de soleils somptueux, nuits constellées et couchers de soleil embrasés…il m’était difficile de rester insensible à ce spectacle qui se jouait chaque jour sur le désert bleu qui nous encerclait.
Je m’habituais au fur et à mesure à mes compagnons de route qui, je l’avoue, me distrayaient. Daurades coryphènes et thazards ont agrémenté le menu quelques fois. Mon pont se transformait alors en poissonnerie, cris, odeurs, tout y était. Les équipiers avaient l’air heureux de ces prises. Les caprices d’Eole nous ont offerts aussi de nombreuses occasion de manoeuvrer de concert, j’assurais la portance, ils s’occupaient des voiles et ils les ont toutes sorties : les génois, les trinquettes, avec ou sans tangons. Je crois que j’étais beau gosse. Autre moment de distraction : le subaquatique : si les dauphins viennent régulièrement à notre rencontre, nous avons cette fois-ci été accompagnés par des pseudorques, qui durant 20 minutes ont joué avec moi dans la houle du large. Puis les poissons volants eux, se sont souvent invités à bord. J’ai un faible pour ces derniers…jamais au sec non plus. Nous avons eu de longs échanges à ce sujet.
Puis les jours se sont « décalés », le quart de 4-8h, celui du lever de soleil, est devenu un quart de nuit où Orion, accompagné de son chien, courait après le Taureau. Il répétait la même scène toutes les nuits, sans jamais rattraper la bête. Ce qui me ramenait à mon propre sort, j’avais beau viser la ligne d’horizon, je n’arrivais jamais à l’atteindre. Plus j’avançais, plus elle reculait. Les nuages aux formes et lumières fantasmagoriques permettaient de doter cette course insensée de quelques variantes poétiques.
Puis une nuit des lumières. Une île. La Barbade au loin. L’alizé se jouait de nous de nouveau, mais cette fois-ci, sans mon intervention…Dans la molle, nous avons hésité à y faire escale, jusqu’à ce que le vent fraîchisse de nouveau pour nous pousser à continuer vers notre objectif premier : Tobago, au sud. Encore une journée loin des côtes, comme si les lumières aperçues la veille étaient un mirage. Puis, en fin d’après-midi, nous l’avons vue. La terre. Nous étions en train de passer la ligne d’horizon-arrivée. Le soleil la noyait de ses rayons dans un ciel aux couleurs chaudes. Je palpais l’émotion de mes pensionnaires. Peut-être ont-ils perçu la mienne ? Quelques heures plus tard, alors que nous passions les îlots du Nord de Tobago, une douce odeur de végétation nous a enveloppé, nous incitant à nous glisser dans la Pirates’ Bay de Charlotteville.
Au petit matin, nous nous sommes réveillés au pied d’une forêt luxuriante, devant laquelle des pélicans s’adonnaient à des exercices de voltige. Mission accomplie : j’avais mené mes équipiers à bon port. L’un d’eux s’en est allé joué au Robinson sur ce vert cailloux, on lui souhaite un beau voyage. Trois jours, quelques milles et grains plus tard, nous sommes arrivés, escortés par les fous bruns à Grande-Anse, en Martinique. J’ai quelques courbatures mais des souvenirs plein la quille et je compte bien faire de nombreuses autres traversées…
A suivre…
6 Comments
Merci Laëtitia, merci encore pour ce très beau texte ! Quel talent ! On s’y croirait, et avec le sourire en plus !
Bon c’est décidé, la prochaine Transat, j’embarque avec vous !!
Des bises de notre Bretagne pluvieuse !
Sonia
Bonne navigation autour de ces îles au climat plus attrayant que le nôtre en cette saison ….
Bravo à Kanaga pour ce beau récit de sa Transat !
Fabuleux. Continue de nous faire rêver. ..
Bisous des terriens
Bravo vous etes arrives a destination avant la formule 1 de gabart …….
Cela c’est jouee a la minute , certe mais c’est vous les meilleurs
Comme quoi c’est bien dans les vieilles gamelles que l’on fait les meilleurs soupes ….
Y en a qui dise avec des jeunes carottes …..
Biz a vous
Oliv
Superbe photos et bravo pour cette traversée. Bon voyage et bon vent !!!!!
Super!!!