Mirages Gunas
Journal de bord
Presque deux mois au Guna Yala, c’est à la fois déjà bien…et pas assez. Cette région fait partie de celles dans lesquelles ils faut passer du temps, beaucoup de temps, pour prétendre à comprendre et connaître un peu. Que ce soit ses habitants, ou sa nature. Un de ces coins du monde qui, si vous savez l’observer à sa juste valeur, vous bouleverse.
Elle se faufile rapidement dans la cocoteraie, pieds nus, claudiquant légèrement, elle a le dos vouté, doit mesurer 1m40 tout au plus, et les jambes toutes malingres. Quel âge a-t-elle ? 60 ans? 70? 90? 110? Sur sa tête, le fichu rouge et jaune « traditionnel », un anneau d’or dans le nez, des winni (colliers de perles qui couvrent les avant-bras et les chevilles), une chemise à fleurs sur laquelle est cousu un mola et un paréo. Elle s’appelle Yolo. Dans ses bras, un récipient contenant quelques poissons de récifs pêchés à l’instant par son mari, Martinez. Elle les amène au voisin, leur seul voisin, qui vit à l’autre bout de l’île. Lui, se nomme Prado. Je viens de passer un long moment avec Yolo et Martinez. Difficile de communiquer…ils parlent très peu espagnol et je ne connais que quelques rares mots de Guna ! Mais ils m’invitent à m’asseoir devant leur case, la nega, et je les observe. Yolo termine un moka et Martinez rentre de la pêche avec son ulu. Comme tous les jours.
Il ramène des poissons de récifs pêchés à la ligne, pour leur consommation personnelle et celle de Prado, ainsi qu’ une dizaine de lambis qu’il vendra ensuite aux Panaméens à 1 dollar le lambi…(ce qui n’est vraiment pas cher). J’aide les deux « vieux » à remonter le ulu sur la plage…cette pirogue pèse le poids d’un âne mort et je me demande comment ils font quand ils ne sont que tous les deux !
Leur cochon sauvage élevé avec vue sur mer et sous les cocotiers nous observe goguenard…
Yolo nettoie les poissons tandis que Martinez perce les coquilles de lambis à la machette, ils les amarre ensuite ensemble et les conservera vivants dans le lagon jusqu’à ce que la navette de Soledad Miria passe pour les faire acheminer ensuite vers Panama City. Soledad Miria c’est le village dont ces trois là sont originaires. Alors que les îles-villages sont souvent surpeuplées et manquent d’espace, eux vivent dans un îlot du large loin des terres cultivées, loin des autres, mais d’après Prado…proches du « Firmament ». Ils ne savent même plus depuis combien d’années ils sont installés ici.
Ils vivent de la pêche, des cocos et de la vente de quelques Mola. Un bateau de Soledad Miria passe tous les vendredi pour les ravitailler en fruits et légumes, car sur ces îles aux paysages paradisiaques il est difficile de cultiver autre chose que de la coco. De temps en temps des plaisanciers comme nous font une pause de quelques jours ici à Miriadadup et leur donne du café ou rechargent leur téléphone. Pas d’électricité non plus ici. Yolo me laisse avec Prado, s’éclipse discrètement. Je termine le tour de l’île et recroise Martinez qui tient à me montrer le « puits » creusé dans la cocoteraie, rempli d’eau douce, de l’eau de pluie en quantité qu’ils utilisent pour boire et se doucher.
Le petit bonhomme me raccompagne jusqu’à la plage et me gratifie d’un sourire et d’un grand au-revoir quand je me remets à l’eau. Ceux-là ont trouvé leur paradis…quelque part entre la vie de Robinson et la société Guna…laissons les peinards.
Plus tard…
Plouf. S’immerger est toujours synonyme un moment fort, une plongée dans l’ailleurs. Ce matin tout l’équipage du Kanaga a sauté dans l’annexe pour se rendre à la barrière ceinturant l’archipel où nous mouillons en ce moment, les Cayes Holandes, ou « Kaimou ». Une nouvelle fois, les récifs coralliens me paraissent être en grande forme. Ça foisonne de vie. Ou devrais-je écrire, ça « poissonne » ! On trouve là toutes les bêtes à écailles du livre d’identification de la mer des Caraïbes. Pendant que les uns font connaissance avec un requin nourrice, les autres assistent à un véritable spectacle de raies : léopards, torpilles et pastenagues, elles sont toutes là et nous les croisons dans les passes à tour de rôle ou groupées. Plus loin un banc de carangues nous passe sous les masques suivi par deux requins nourrices qui nous ignorent superbement. C’est presque vexant. Sur le chemin du retour, j’ai le loisir de suivre longuement une raie léopard – appelée aussi raie aigle- elle déploie ses ailes avec grâce, elle plane….elle me guide dans la passe…ou du moins j’aime à croire qu’elle m’y guide…cette fois-ci n’est pas nous qui sommes au paradis ?
À suivre…
3 Comments
Merci de l’évasion…top !! Bisous titi tribu
Tranches de vie….dépaysantes et aussi, bouleversantes….Notre vie de consumérisme nous paraît très futile et décalée tout d’un coup !
Merci à
la scribe très productive, qui nous fait découvrir un peu de cet ailleurs hors du temps; une évasion qui me permet de relativiser mes préoccupations, et de me recentrer sur l’essentiel.
Amitiés.