Réflexions Robinsonnes
Journal de bord
Kanaga continue ses pérégrinations à Fakarava et alentour. L’une de nos dernières escapades nous a mené à Toau, un atoll voisin… L’occasion de tergiverser sur l’art de la Robinsonnade dans les atolls.
Prenez du corail, un lagon, une passe, du sable blanc et des cocotiers. Plantez l’ensemble au milieu de l’océan Pacifique et cela vous donne un atoll. Réitérez le même mélange, et contre toute attente, cela vous donnera un nouvel atoll, qui sera, aussi incroyable que cela puisse paraître, différent du premier ! C’est ce qu’on est allé vérifié avec un fier équipage, en naviguant vers Toau, situé juste à l’Ouest de Fakarava.
A l’aller les vents sont dans le bon sens, et nous avons franchi la passe de Toau quelques heures après notre départ, sous voiles. Réputée pour son caractère changeant, elle nous a réservé un bel accueil, calme et chaleureux.
Assez rapidement, en longeant le motu, nous avons trouvé un mouillage abrité, incitant à l’exploration. L’occasion d’imaginer comment vivrait un Robinson. Admettons que nous soyons bloqués là des mois… le milieu est-il aussi paradisiaque que le sous-entend la carte postale ? Car oui, nous avons vraiment l’impression de faire partie de ces décors paradisiaques qui ornent poster et calendriers.
Tout d’abord il y a la question vitale de l’eau potable. Il n’y a ni sources, ni cascades sur les motu. Les locaux trouvent de l’eau saumâtre en creusant quelques dizaines de cm dans les cocoteraies, bien pour se laver et irriguer mais pour boire, il faut compter sur l’eau de pluie. D’où l’installation là où il y a des habitations de grandes citernes. En bateau, on récupère aussi l’eau de pluie via les tauds et on anticipe en partant avec les « vaches à eau » remplies… Robinson lui devrait se fabriquer un système …
Côté fruits et légumes, ce n’est guère plus simple. Le sol, mélange de sable et de débris coralliens est très aride, salé et manque de nutriments. Faire un faa’ pou ici demande un apport conséquent d’engrais, et d’eau… Alors les légumes, quand on en trouve, sont précieux !
A Fakarava ils sont 4 ou 5 maraîchers pour les 800 habitants de l’île… donc bien occupés ! Les goélettes amènent le reste… et si la goélette ne vient pas (ce qui arrive), et bien on fait sans !
La coco en revanche se trouve en abondance (le cocotier est même une espèce invasive), ainsi que le pourpier, excellent en salade et plein de vertus ! Les courageux s’attèleront à déterrer des coeurs de palmiers, un travail long et physique, mais il est vrai que dans l’assiette c’est rafraîchissant et fameux.
Pour la coco, son eau si elle désaltère n’hydrate pas comme de l’eau douce, donc en tant que Robinson, s’il est possible d’en consommer, cela ne suffit pas…
Et les poissons me direz-vous ? Là encore rien n’est acquis : se méfier de la gratte (ou ciguatera) qui touche une bonne partie des poissons de récifs, sauf les poissons rouges. D’autres espèces sont épargnées mais tout dépend de l’atoll où vous êtes et… des dires de votre informateur. Bref, finalement c’est surtout fonction de votre appréhension vis à vis de la méchante toxine ou pas. Localement, les Puamotu (habitants des Tuamotu) consomment aussi certains coquillages et les crabes de cocotiers.
Après quelques jours isolés à Toau, et assez rassurés de ne pas avoir à vivre comme Robinson, nous nous sommes redirigés vers Fakarava. La tête pleine de couleurs sublimes et de magnifiques escapades sous l’eau ou sur le motu et convaincus que le paradis est viable à condition d’avoir un bateau solide et une cambuse garnie.…
La passe de Toau semblait bien plus contrariée qu’à l’aller. Le mascaret qui s’y formait n’était guère engageant, mais c’était l’étale et donc le moment de la franchir. Si l’expérience a souvent du bon, parfois on regrette les temps de l’insouciance (voire de l’inconscience…) où l’on ne mesurait pas les risques encourus.
A quelques mètres à tribord : la pointe de sable, et les coraux ; à bâbord le coeur du mascaret avec des vagues creuses et (très) raides ; face à nous : une souricière coincée entre des vagues de surfeur pros, et la garantie d’un naufrage ! Nous nous sommes donc engagés, curieux pour les uns, crispés pour les autres. Se concentrer sur la barre…et viouuu c’est parti, Kanaga tangue doucement d’abord, puis de manière de plus en plus prononcée… « yaouhhh » disent les uns «meerrrddeee… » pensent les autres… et assez vite, tout le monde s’est tu…
Surtout ne pas regarder à droite. Sous la quille on sent comme une aspiration par le courant (ah oui, un détail, dans les passes il y a régulièrement 4 à 5 noeuds de courant). Surtout garder le cap, tenir bon, et ne pas penser au beaupré de Kanaga qui semble rêver de foncer dans la vague de devant…
Les minutes semblent longues… puis ça se tasse… le tangage décline, on quitte la passe, le mascaret est désormais derrière nous…
Probablement une de nos sorties de passe les plus riches en émotions que nous ayons connu dans ces contrées ! Quelques bords plus tard, au près cette fois-ci, nous reconnaissions le phare de Fakarava et sa forme pyramidale singulière…!
Vendredi ou la vie sauvage… finalement samedi et la vie mondaine ce n’est pas mal non plus !
À suivre !
3 Comments
Des décors de carte postale effectivement!
Merci pour cet extraordinaire récit d’aventure !!
Ça donne trop envie malgré tous les inconvénients !!
J’ai trop hâte de vous rejoindre en juin !!
A bientôt sur Kanaga !!
Bonjour chers amis
Cet article me rappelle une semaine de juillet 2019 en cet atoll sur un Dufour 38.
La passe nous a filé les jetons lors de l’entrée : c’était chaud !
Mais, après, quel calme, quelle sérénité ! Pas âme qui vive pendant tout notre séjour !
Un formidable souvenir !
Bonne continuation
Bises