Escapades macronésiennes

Journal de bord
Un mouillage au paradis ?

Kanaga est à quai à Tenerife pour une petite pause. En quittant le Portugal il y a une quinzaine de jours, le voilier a entamé un périple reliant une partie des îles macronésiennes. Après avoir laissé notre empreinte à Porto Santo, comme le veut la tradition, nous avons pu faire étape à Madère, puis, grâce aux conditions météos, aux incroyables Selvagens.

Porto Santo, la sableuse. Une plage de plus de 10km de long borde sa cote sud. Les couleurs dominantes ici sont jaunes et rouges, vestiges d’un passé volcanique. C’est surtout la première étape de transat…de celles où l’on commence à sérieusement sentir le vent du large. C’est ici, armés de nos pinceaux, que nous avons laissé comme de nombreux autres une estampe marquant le passage du Kanaga sur la digue qui ferme le port. C’est un plaisir de le longer et de trouver ici et là, les « sceaux » des bateaux amis, clins d’oeils d’une  communauté flottante bien vivante.

Porto Santo, la sableuse

Nous avons repris la mer pour Madère, la verte. Sa silhouette imposante se dessine sur la ligne d’horizon, et nous passons une première nuit au mouillage, pour découvrir ensuite Quinta do Lord. Etrange port d’entrée que celui-ci. Très luxe, très propre, très…vide. La paperasse remplie nous nous empressons de filer à Machico, le port de pêche, nous voici bien plus à l’aise. Les voisins de bateau terminent juste la saison de la pêche au thon. Ces quelques jours à Madère sont l’occasion pour l’équipage de se tourner vers la terre. Pendant que certains arpentent l’île en stop, d’autres  se gavent de glaces à la chantilly, et les derniers décident de suivre les fameuses « levadas ». Construites vers le XVIIème, ces canaux d’irrigations partaient des montagnes du Nord pour arroser les terrasses cultivées du sud, les « poios ». Un excellent moyen aujourd’hui de découvrir la forêt Lauratienne…même si les cultures ont laissé la place à d’autres activités économiques. Les yeux remplis des images de ces paysages verdoyants, le plus beau nous attendait pourtant un peu plus loin sur la route.

Madère la Verte…

Vient le moment, où il nous faut quitter Madère et filer vers les Canaries. Là, en cours de route tout se met à battre, les voiles faseyent, le gréement grince. La fameuse pétole nous revient… Le vent nous a bel et bien lâché… Mais, ici, les volcans ont bien fait les choses : il existe, à 180 milles au sud de Madère, quelques îles appelées les Selvagens. Des iles désertes, occupées juste par deux « rangers » qui veillent sur le trésor local : la plus grande colonie au monde de puffins – de la famille des piafidés. Le soir c’est un véritable capharnaüm : ils piaillent, piaffent, volent et virevoltent avant de retourner auprès de leurs petits dans les nombreuses caches offertes par la falaise.

Kanaga au mouillage…
Sur les hauts de Selvagen Grande

On aura la chance le lendemain d’être guidés par Manuel pour faire le tour de cette île classée réserve intégrale. On y croise des centaines de poussins de 3-4 mois, en pleine mue. Dans 15 jours ils perdront leurs duvets pour un nouveau plumage. Ensuite, ils quitteront l’île pendant 5 ou 6 ans vers des contrées lointaines (jusqu’en Afrique du Sud !) avant de revenir vers leur nid d’origine et se reproduire à leur tour. On ne sait pas du tout comment ils se repèrent. Certains disent que le soir, les poussins sortent du nid et regardent les étoiles… (les mauvaises langues diront qu’à bord, l’équipage est moins doué que les zozios pour lire le ciel nocturne).

Puffin cendré – Calonectris diomedea borealis

A la fin des années 60 ils étaient appréciés en soupe… et il ne restait plus qu’une dizaine de couples. Le docteur Zimmer, alors de passage ici a racheté toutes les licences d’exploitation des pêcheurs et a décidé…de ne rien en faire pour que la population menacée de disparition puisse se refaire une santé. Classée réserve en 1971, aujourd’hui, ils sont 300 000 individus en haute saison. Manuel nous fera rencontrer des ornithologues de passage qui nous apprendront à baguer un oiseau, il nous montrera aussi le gecko local…et nous racontera milles anecdotes sur cette île. Son chien, ou plutôt le chien de l’île, dressé depuis petit pour ne pas manger les oiseaux, est tellement peu habitué aux envahisseurs qu’il aboie contre…les avions qui volent à 10 000 m de là – on ne sait jamais, dès fois qu’ils viennent nicher à la place des puffins…


Un ombre plane cependant…les espagnols convoitent l’île puisque les fonds marins alentours recèleraient du pétrole et du magnésium. Si les Selvagens devenaient espagnoles, tout le boulot mené depuis des années par Manuel et ses collègues serait remis en question. Une commission européenne se réunira en 2019 pour décider du sort de ces quelques cailloux.

Chacun son idée du trésor…

En quittant les lieux pour nous rendre vers les Canaries nous échangeons sur tous ces souvenirs et rencontres que vient de nous offrir l’archipel de Madère…et sur ce joyau que sont les Selvagens. Nous croisons les doigts pour que ces iles demeurent avant tout, celles des Puffins !

A suivre…

Navigation de rêve

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Au large !

S’il est vrai que sur ce blog parfois la plume s’égare, fustigeant contre des éléments défavorables, elle se doit de ne pas omettre de relater de sa plus belle encre (de seiche) les moments où l’on touche à l’accord parfait. La navigation de Kanaga du Portugal à Madère fut de ceux-là.

Tout d’abord les vents. Ils nous ont gentiment poussé vers notre but : l’île de Porto Santo, au Nord de Madère. La mer calme a soutenu Kanaga comme une bonne amie bienveillante, le laissant filer à 5 noeuds en moyenne. Le départ s’est fait les voiles en ciseaux, vent arrière, donnant au voilier l’allure d’un étrange volatile, puis nous avons viré au bout de 4 jours, toujours accompagnés d’un doux zéphir, pour arrondir la courbe vers notre destination.

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Les voiles en ciseaux

Puis les lumières, toujours. Celle de la lune qui se reflète la nuit sur l’eau noire, celles des milliers d’étoiles offrant aux équipiers des cieux qu’ils ont rarement eu l’occasion de voir aussi dégagés, celle du plancton bioluminescent qui éclaire le sillage du bateau… « de la poudre de perlimpinpin » diront certains à bord. Celle du lever ou coucher du soleil, suivant les quarts, brûlant  l’horizon chaque soir et chaque matin. Et puis celle que peu sont capables de représenter : la mer qui scintille lorsque l’astre est à son zénith : aquarelle parfaite peinte par un artiste imaginaire.

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Médusés au crépuscule.

Les rencontres, ensuite. A bord, la vie s’écoule paisiblement, des bouts de vies se croisent et échangent expériences et vécus. C’est parfois aussi silencieusement, simplement, que chacun apprécie ces moments privilégiés où le temps est suspendu.

Et les émotions fortes enfin. Un jour où le vent est plus faible, les conditions idylliques incitent quelques uns à se baigner…ils ont 4200 mètres de fond sous les pieds…ce qui provoque quelques montées d’adrénaline.

Pour ceux qui n’auront pas goûté aux joies de la baignade, la séquence qu’ils garderont tous en mémoire sera ce matin particulier où ceux du pont ont hurlé « Baleine! Baleine! », et où au saut de la bannette tous ont porté le regard vers un cachalot qui leur a offert une danse rare et incroyable. Un dos d’abord, sondant vers les profondeurs, la caudale disparaissant….pour sauter de tout son long 4 fois, 5 fois, 6 fois et retomber sur son flanc dans un grand « splash ». La puissance de la mer était palpable, là, à quelques mètres de nous et je vous garantis que tous, sans exception, étions à cet instant là précis fous comme des gosses. Emerveillés. C’est peut être ça que l’on aura découvert cette fois-ci, au large.

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A suivre…

Kanaga, pèlerin des mers ?

Journal de bord
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Le large inspire certains équipiers….(et en expire d’autres…)

Voilà une semaine que l’équipage du Kanaga a quitté Douarnenez. Le passage du Golfe de Gascogne a été un véritable florilège de différentes conditions météos…une épreuve ou un chemin initiatique ? Comme toujours le Gascogne, c’est un peu le bizutage. Comprenez par là que ceux qui résistent à sa traversée et souhaitent continuer le voyage ont passé l’épreuve avec succès. 

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Les portes sont ouvertes…c’est parti !

Il y a ceux qui font un jeûne forcé : l’estomac au bord des lèvres (et du pavois), ils passent alors 2 à 3 jours agonisants au bord de leur bannette.

Il y a ceux qui enchaînent les quarts découvrant les joies de la vie avec réveil nocturne obligatoire guettant avec impatience les premières étoiles et…le sud. Ben oui, dans le Gascogne, il fait toujours froid.

Il y a les cuistots qui prennent leur rôle à coeur souhaitant faire de bons petits plats à toute l’équipe, et qui à l’escale rêvaient de mets fins et délicats. Une fois brinquebalés devant la gazinière, manquant de s’ébouillanter ou de se couper un doigt en tranchant quelques tartines, ils se rabattront sur la conserve 4 en 1 (apéro-entrée-plat-dessert) pour satisfaire les papilles de leurs compagnons de route.

Il y a ceux qui bien que semblant trouver un équilibre intérieur à bord, sont physiquement déséquilibrés à chaque houle croisée et cumulent les bleus et les bosses.

Il y a celle qui s’occupe de la moussaillonne et qui passe 2 jours enfermée, ce qui fait 48h, 2880 minutes ou 172 800 secondes dans la bannette faute de pouvoir aller sur le pont puisque ce n’est pas un temps à sortir les bébés dehors.

Il y a celui qui grince se demandant quand est-ce qu’enfin la météo sera établie…

Puis vient la première escale à la Corogne. En quelques minutes tout est oublié, on est ravi d’y croiser des bateaux amis et chacun de raconter sa traversée. Et voilà qu’à la capitainerie on nous propose de tamponner notre passeport de pèlerin : nous venons de parcourir le chemin de Compostelle… à la voile !! A cette étape, nous embarquons un équipier, éreinté, l’oeil hagard, le sac lourd, et les pieds meurtris. Il a fait une partie du chemin de Saint Jacques de Compostelle, mais à pieds. Réflexion faite, on était peut-être plus tranquilles par la voie maritime…

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Mondara Mad, le voilier de Xavier, à quelques milles de la Corogne

Bref, c’est heureux que nous prenons de nouveau la route, enfin, la mer, persuadés de ne plus être sur une zone de pèlerinage,  avec tous les sacrifices que cela demande. Ouf ! Les conditions sont stabilisées comme par magie, le soleil présent, les nuits étoilées et tout le monde a retrouvé sa forme d’antan, purifiés {?!) après ce passage du Golfe de Gascogne…

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La citadelle de Peniche
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Les maisons suspendues à la falaise…
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…avec vue sur mer !

L’escale suivante est la petite ville de Peniche, au Portugal. Ça sent le sud, et flâner dans les ruelles pavées et colorées de ce port de pêche est un vrai bonheur. Mais la sérénité est de courte durée, nous venons de croiser des hordes de jeunes blonds aux cheveux longs, portant une « board » sous le bras, une combinaison Néoprène et des lunettes de soleil. Renseignements pris, nous nous trouvons sur un haut lieu du surf portugais et dans quelques semaines il y aura ici même des championnats du monde de glisse…

Des pèlerins d’un autre genre…Manquerait plus qu’on nous demande de monter sur les planches pour participer à la grand messe : c’est décidé on met les voiles demain matin et on fait route vers le sud, toujours au sud socio !

Le sud…socio, le sud…

A suivre…