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Les Grenadines vues du ciel

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Mayreau…

Pendant que certains se sont fait balloter dans les « canaux », zones inter-îles où la navigation n’est pas toujours aussi paisible que leur dénomination pourrait laisser supposer, deux équipières ont eu le privilège de passer par les airs pour rallier Union à la Martinique. 

J’entends déjà les commentaires railleurs « Et oui, dès que ça devient un peu sport, certaines débarquent, bravo, bel esprit, c’est toujours la même, blablablabla».

L’avion en question n’a rien d’un A380 : pas d’hôtesses de l’air, pas de plateaux repas, pas même la possibilité de visionner les derniers films américains. Mais ! En revanche, vous êtes dans la cabine de pilotage puisque vous êtes 4 passagers au total, en incluant le pilote. Bon si celui-ci tombe en panne, il n’y a pas de co-pilote, alors choisissez-le bien, pas de blague. Nous avons quelques bonnes adresses. Le « coucou » de notre pilote est un avion monomoteur à hélice, un tigre, et franchement, à aucun moment je n’aurai échangé le traditionnel jus de tomate contre quelques minutes à bord de cet engin.

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Passes, reef, le jeu consiste à reconnaître le moindre recoin des Grenadines…

Vues de la mer, les Grenadines sont déjà assez exceptionnelles. Mais vues du ciel c’est extraordinaire : c’est un peu comme si d’un coup toute la cartographie dont on commence à connaître le moindre reef et la moindre passe devenait réalité. Depuis là-haut, le labyrinthe prends vie. Les bleus se dégradent du turquoise à l’indigo laissant deviner tour à tour les tombants impressionnants et les lagons cerclés de leurs barrières de corail. Le jeu consiste à reconnaître les îles et zones de mouillages déjà testées. Puis on survole Saint Vincent, par la côte au vent, soit, la côte Atlantique. Ben oui, en voilier, on s’abrite sous le vent des îles, protégés par les montagnes, mais en avion, si on ne veut pas trop se faire secouer, il faut au contraire voler au-devant les montagnes et des turbulences qu’elles provoquent.

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La côte Nord de Saint Vincent

La forêt est impressionnante, je devine même quelques cascades et ici et là sont parsemées des cabanes de rasta. On passe cette fois le canal de Saint Vincent, qui sépare Saint Vincent et Sainte Lucie. La mer moutonne. Quelques rares voiliers s’y sont risqués…et je n’aimerai pas être à leur place. Des longs cordons marrons serpentent sur la surface de l’eau : des sargasses, des sargasses, encore des sargasses…Sur la côte au vent de Sainte Lucie, qui est très découpée, elles s’entassent au fond des baies.

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La tête dans les nuages

Pendant ce temps nous, nous avons toujours la tête dans les nuages, on enchaîne avec le canal de Sainte Lucie. A peine 1h que l’on vole. En voilier nous mettons entre 24h et 48h pour faire cette remontée. Autre vision, autre rythme. La Martinique se dévoile peu à peu : le diamant, le morne Larcher, les trois-îlets, et la plaine du Lamentin. Le pilote se positionne face à la piste, il faut déjà atterrir…

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Et déjà…l’atterrissage

Pendant ce temps, à bord du Kanaga, le vent a fraîchi, les rafales soufflent au-delà de 40 noeuds, l’étrave plonge sous l’eau et une partie de l’équipage est hors-service -et maudit les deux privilégiées qui ont pris l’air. Lors d’un énième virement de bord pour gagner au vent, la bôme déclare forfait. Le cap’tain ne sait plus à quels dieux du vent se vouer : normalement, à cette période du carême, l’alizé mollit et les navigations sont plus calmes. Tous arriveront heureusement à bon port, et -ouf- tous ont dit qu’ils étaient prêts à refaire du bateau (est-ce vraiment vrai ???…)

Mais aux Caraïbes, les semaines se suivent et ne se ressemblent pas. Effectivement, 4 jours plus tard, alors que Kanaga franchit de nouveau le canal de Saint Vincent avec son gréement de fortune, la mer est plate, l’alizé établi à 15 noeuds, et, fait rarissime, la Soufrière, volcan de l’île, totalement dégagée. Il y a de quoi perdre son créole ! Cette fois-ci nous nous apprêtons à passer plus d’un mois dans le « sud » : navigations, heu…réparation de la bôme… et carénage au programme.

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Kanaga, en route vers le Sud !

Je profite de ce post pour remercier très chaleureusement Laura qui depuis presque 3 ans a assuré le relais-terrestre depuis la Martinique, répondu aux mails des équipiers avec talent et humour, et assuré toutes les fois où nous étions « déconnectés » pour cause de transat & Co (ah…ces marins !). Très belle suite à elle pour ses projets futurs !

C’est aussi l’occasion de vous présenter ceux qui vont prendre sa suite, une nouvelle antenne-relais, à deux têtes, et connectée depuis les Saintes cette fois-ci. Bienvenue aux zozios Jean-Marc et Dominique…auxquels vous aurez peut-être à faire ! Rassurez-vous ils sont très gentils et capables de fabuleuses dérives…!!!

À suivre…

Les Grenadines…ça gratte, mais c’est beau !

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Quelque part aux Grenadines…

Kanaga découvre les Grenadines -à l’eau- depuis près de trois semaines maintenant.

En quittant la Martinique tout va bien. Kanaga file à 8 noeuds vers le Sud, sous artimon, grand voile, et génois convenablement arisé. On croise le Diamant, Sainte Lucie, Saint Vincent… puis quand on arrive bien plus sud, certains noms d’îles surprennent, voire, inquiètent.

Mustique (prononcez moustique). L’île où l’on se fait dévorer ? Nous n’avons même pas osé y poser les tongues. A priori, là-bas, on risque surtout de rencontrer des stars, Mick Jagger, James Bond…Et quelques paparrazzi. Nous on a surtout peur qu’ils ne nous reconnaissent pas et piqués par l’angoisse de l’anonymat on est allé voir ailleurs.

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Morpion, la carte postale…

Union, Mayreau, des noms qui grattent moins. Mais arrivent alors d’autres îles dont les patronymes ne sont pas plus engageants : Punaise…de quoi irriter la coque du Kanaga tant il y a peu d’eau…ou pire encore, Morpion. Pour cette dernière, forcément, cela nous a démangé d’aller y faire un petit tour. D’autant que cette île fait le bonheur du voyageur de passage, et l’enfer de celui que l’on oublierait là. Il n’y a rien. Enfin, presque rien. Il y a un parasol, un parasol de qualité puisque la légende dit qu’il a résisté à Ivan le cyclone qui s’était invité aux Grenadines en 2004. Et c’est petit, tout petit, minuscule – comme un morpion. A vue d’oeil elle doit faire 200 m2…Le graal, c’est de réussir à y accoster avant les voisins de bateaux – car forcément, d’autres plaisanciers ont eu l’info – et être seul à fouler le sol de ce petit banc de sable. Même les plus exigeants auront du mal à résister : Morpion correspond exactement à la carte postale que l’on a imaginé – Maintenons que pour le nom, ceux qui l’ont baptisé auraient pu faire un effort quand même, pourquoi pas poux ou teigne tant qu’on y est ?

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Parée au décollage…
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Un ange (royal) passe
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Un vieil autochtone

Dans les eaux de l’archipel l’équipage croise d’ailleurs une véritable ménagerie : des cachalots, des poissons colorés en tous genres, des tortues, des lambis, des gorgones, des coraux, des raies pastenagues…et même quelques squales. L’une de nous se trouvera face à un requin nourrice – ou peut être citron mais cette perspective l’enchante moins juste parce que le guide d’identification précise qu’ils peuvent être parfois un peu agressifs. A priori plutôt habitué à croiser ses comparses à denticules, il a manifesté quelque curiosité vis à vis de la bretonno-sapiens. Respectueux du thème de la croisière, l’un des jeune mousse du bord tentera une cohabitation avec des oursins qui ne manquera pas de piquant. Ces rencontres-ci ont eu lieu aux Tobago Cays, un site superbe, parc marin quelque peu victime de son succès vu le nombre de mâts présents… il est vrai que grenouiller dans l’eau ici est irrésistible.

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Et !…une grenouille endémique
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Kanaga, plus au sud…
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…au mouillage

Plus sud encore, dans l’Etat de Grenade, d’autres îles désertes nous attendent, aux noms plus classiques. Nous les tairons cependant. Gardons quelques mystères. Celles ci restent peu fréquentées. Plus grandes, elles permettent quelques explorations terrestres, avec de nombreux cactus et coussins de belle-mère. Mais le souvenir restera doux : l’un des équipiers clamera de retour à bord «c’est l’eau la plus turquoise et le sable le plus blanc que je n’ai jamais vu! »…

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Saint Vincent, plus… végétale

Un sable blanc qui contraste avec les plages de sable noir de Saint Vincent, où nous faisons halte sur la remontée en Martinique. Là, la forêt luxuriante s’impose et quelques pas au coeur de celle-ci donne un nouveau visage à ce chapelet d’îles. Plus végétal. C’est le Zion. Cette île là est plus jeune de quelques milliers d’années que ses comparses du sud, ce qui explique son côté sombre et ses vallées encaissées. Mais vient déjà le moment pour ceux qui nous accompagnent de prendre le chemin du retour. Une vingtaine d’heures de navigation sportive, au près, avec une mer agitée seront nécessaires pour rallier la Martinique- qui a dit que les croisières aux Caraïbes étaient tranquilles ? Bien que bringuebalés à bord du Kanaga, les images des Grenadines laissent alors leurs empreintes dans l’esprit de chacun et chacune. Alors, même s’ils ramènent quelques piqûres de méduses, d’oursins ou de moustiques (prononcez mustique)…c’est la tête pleine de turquoise qu’ils retournent à l’hiver. Attention, l’envie de revenir pourrait les démanger !

A suivre…

De la force de la nature…depuis les Saintes à la Martinique

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Kanaga vient de mouiller à Tyrell Bay dans l’île de Carriacou, après 15 jours passés plus au Nord…15 jours qui ont donné lieu à réfléchir à la force de Dame Nature.

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Une des baies de Terre de Haut, dans le magnifique archipel des Saintes

Le premier choc a été le passage au large de la Dominique. Habitués à cette hauteur à longer une côte à la forêt luxuriante, cette fois le spectacle qui s’offre à nos yeux est moins réjouissant : des centaines de troncs d’arbres morts trônent au milieu d’une végétation qui lutte peu à peu pour reprendre ses droits. Sur le littoral, une côte en reconstruction, le troquet où nous avions réveillonné un an auparavant a disparu. Volatilisé. On nous dit que les habitants qui jusque là bénéficiaient d’une certaine autonomie grâce à leur production de fruits et légumes locaux repartent pour beaucoup de zéro. Le nombre de pertes humaines n’a pu être estimé, faute de recensement au préalable. Les aides se sont organisées, essayant de privilégier les contacts directs. L’île porte les cicatrices de celui qui l’a soufflée sans ciller. Quant aux touristes, la plupart ont modifié leur plans. Les paquebots ont été détournés vers la Martinique.

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Portsmouth à La Dominique, quatre mois après le passage du cyclone

La coupable ? Maria : l’oeil dévastateur du cyclone a remonté toute l’île du Nord au Sud.

Si Kanaga n’a fait qu’une brève escale à la Dominique, il a en revanche passé du temps à Terre de Bas, aux Saintes. Là aussi, Maria, quatre mois plus tard, reste présente dans tous les esprits. Certains décrivent des scènes incroyables : ils ont passé la nuit dans leur salle de bain, seule pièce sans fenêtres et sans toit, protégés entre deux matelas, en attendant que ça passe. D’autres ont eu des crampes pendant près d’une semaine tant ils avaient forcés contre leurs barricades de fortune pendant cette interminable nuit. Etonnamment, certaines « cabanes » d’aspect bien plus fragile ont tenues…sans doute aidées par Jah ? Les bord de plages ne sont guère en meilleur état que ceux aperçus à la Dominique : amoncellement de débris végétaux, restaurants du bord de mer arrachés au sol, escalier d’accès à la plage en partie effondré. Sous l’eau, les gorgones ont souffert elles aussi. Les pêcheurs disent que depuis le cyclone, les poissons prédateurs sont partis plus au large…Les récits sont nombreux, les habitants de Terre de Bas profondément marqués. Les vents étaient établis à 250 km/h….avec des rafales qui ont dû atteindre les 400km/h.
L’un d’eux m’explique : « en moins de 24h l’onde tropicale de la Barbade est devenu un ouragan de catégorie 5 ». Un jeune homme poursuit : « ma mère, en Belgique a appris avant nous aux infos qu’il passait en catégorie 5, alors qu’ici on nous l’annonçait toujours à 2 ou 3 !! ».
Heureusement hormis des dégâts matériels conséquents il n’y a pas eu de pertes humaines ici. La végétation repousse peu à peu, les pélicans sont revenus nicher là, les petits poissons pullulent -forcément, les grosses nageoires se sont éloignées- et les habitants gardent le sourire. Ils n’ont pas fêté le nouvel an chez Luc cet année, le restaurant étant détruit, mais chez Eugénette dont la patronne attendait, me semble-t-il, une bonne partie du village. La vie reprend son cours, se préparant peut être à d’autres cyclones de cette ampleur la prochaine saison, mais apprenant à vivre avec.TRA_9254

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A Terre de Bas, la plage de Grande Anse garde les cicatrices de Maria.

Nous traversons la sublime baie des Saintes, pour mouiller dans l’île voisine, Terre de Haut. Touchée elle aussi par Maria. La joueuse de Ka rencontrée dans le village (je dis ‘la’, car elle est la seule femme ici à pratiquer cet art de percussion locale), ne se souvient pas avoir vécu un cyclone aussi fort. Pourtant le site reste exceptionnel. La vue depuis le fort Napoléon n’a rien perdu de sa superbe. Sous l’eau, une immersion au pied du célèbre pain de sucre, permet de constater que les fonds sont toujours riches d’une incroyable biodiversité. Mouillés au pied de cette sculpture rocailleuse, tout l’équipage se laisse happer par la vision du Royal Clipper, l’un des plus grands voiliers du monde, qui s’impose peu à peu dans cette carte postale animée. Nous quitterons les Saintes en musique, dans une ambiance festive, avec un concert improvisé associant nos équipières musiciennes et les percussionnistes locaux !

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A Terre de Haut, les agents de la commune continuent à déblayer les plages, ici Pompierre.
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Le Royal Clipper apparaît peu à peu derrière le pain de sucre…

Kanaga a ensuite mis les voiles vers la Martinique, avec une première escale à l’anse Céron, baignée dans un paradis végétal. Le lendemain, nous avons poursuivi à peine plus loin pour nous rendre à Saint Pierre. Ici, hormis au marché où il est difficile de trouver de la plantain à un prix abordable et des bananes – encore une fois, suite au passage de Maria…- et quelques travaux en bord de mer, nous retrouvons la même ambiance que depuis notre dernier passage, il y a trois ans. Je prends le temps de déambuler dans les rues, où les ruines d’un passé révolu incitent à se replonger dans l’histoire du 8 mai 1902, jour de l’éruption de l’imposante Pelée qui a rasé la ville et ses habitants en moins de 3 minutes. Dans les eaux de la baie, gisent une dizaine d’épaves explorées aujourd’hui par les plongeurs. Cette navigation continue avec l’étrange sentiment de pérégriner dans des sites dont l’histoire est écrite par des forces naturelles qui nous dépassent…

Ce soir là, au pied de la montagne, le ciel était rougeoyant, embrasé par un superbe coucher de soleil – et non quelque fureur volcanique. Avec nos équipières musiciennes, nous avons embarqué à bord de notre jolie prame norvégienne et fait le tour des bateaux du mouillage, tout en jouant du saxo et de l’accordéon. Préposée à la rame, entourée de cette musique, ce moment était extraordinaire, de ceux qui vous font monter les larmes aux yeux.

Pas de doute, la puissance des éléments frappait encore, mais avec une infinie douceur cette fois-ci.

A suivre…