Catégorie : Journal de bord

Session Irlandaise

Journal de bord
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Les Caraïbes ? Non, non, l’Irlande…

…Tout commence par quelques notes de musiques dans un pub de Kinsale, ensuite ça s’enchaîne dans un tourbillon de paysages, de lumières et d’Eire gaélique. Kanaga est désormais rendu à Baltimore (si vous ne savez pas où c’est, prenez une carte et visez le sud-ouest).

Ce soir là, l’équipage du Kanaga, s’engouffre dans un pub conseillé par un local locace, ce qui semble être un pléonasme ici, pour se consoler d’une météo qui rend les vents contraires, le ciel gris, couvert depuis quelques jours et les équipiers moroses et pâlots. Climat qui limite les escapades et la possibilité de se rendre dans des mouillages sauvages.

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Les rues colorées de Kinsale…
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…et la Guinness réchauffent de l’intérieur.

Les deux musiciens s’installent, l’un à la mandoline, l’autre à la gratte. La plupart dans le pub ont une pinte de Guinness à la main, comme le veut la tradition. Les premières notes sont jouées. Des grands classiques du traditionnel irlandais et la magie opère : d’un coup vous vous sentez réchauffé de l’intérieur.
Il y a quelques heures, vous pestiez contre cette météo de m…. Et à cet instant précis, vous n’échangeriez votre place contre rien au monde ! Plus tard, vous retrouvez votre bannette le sourire aux lèvres et un air irlandais dans la tête, motivé comme jamais pour reprendre la mer le lendemain.

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Un ciré jaune…et humide

Levé à l’aube, l’appareillage se fait sous une bonne ondée et vous vous habillez de votre ciré jaune, votre nouveau meilleur ami. Même pas peur. Au fur et à mesure que vous naviguez vers le mouillage rêvé, le ciel gris et changeant révèle des lumières incroyables qui charment et envoûtent le navigateur. Votre regard change et vos derniers griefs s’effacent peu à peu…

Il est probable que quelques Banshee ou Leprechaun, sorcières ou korrigans du pays, farceurs, testent le voyageur. Celui qui saura passer au-delà de la première barrière nuageuse, et de la première rinçade, sera donc récompensé par ce spectacle. Après tout, l’Irlande, ça se mérite. Les Irish ne sont pas de ces gens superficiels à vous exposer toute la beauté des lieux en une fois. C’est comme si vous buviez une Guinness en une seule rasade. Ca ne vous viendrez même pas à l’esprit! Ben les paysages c’est pareil : leur beauté est distillée au compte goutte à ceux qui savent la voir.

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Lumières du soir, dans un mouillage au sud de Kinsale…

 

 

 

Pour en profiter pleinement, une fois atteint le fameux mouillage sauvage, le Kanaguien utilisera la prame norvégienne embarquée il y a quelques semaines. Un petit bijoux qui a fière allure, qui « rame et navigue vite » -sauf par vent contraire, faut pas exagérer. Grâce à elle, chaque équipier peut se livrer à quelques navigations, y compris solitaires, vers les grottes et baies, inconnues ou encore les phoques curieux. L’occasion de vérifier si les rudiments de la voile ont été bien retenus par ceux et celles qui partagent la vie du bord depuis quelques jours  : « c’est quoi déjà le bout de bois qui est fixé sur la toile et qui monte en haut du mât ? », « Et le truc au milieu là?». Si ce n’est pas le cas, et qu’il y a quelques soucis de sémantique, bah, pas de soucis, il devrait bien y avoir un ou deux Leprechaun qui viendront aider à la manoeuvre, même en gaélique, ça rendra toujours service.

fullsizeoutput_30Une escapade en prame norvégienne…

C’est ainsi qu’à bord du Kanaga, le temps s’écoule tranquillement, naviguant d’une crique à l’autre…Et soudain, quel bonheur de surprendre quelques équipiers fredonnant et chantant des airs irlandais en s’adonnant à une activité de matelotage : ça, c’est bien la preuve qu’il fait bon vivre ici, chez les irlandais !

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Atelier matelotage teinté d’un air irlandais…

A suivre…

La magie de la navigation…

Journal de bord

Kanaga a quitté l’Aber Wrach’ il y a une semaine, après avoir fait le plein de retrouvailles avec les amis bretons. Ah, ce qu’on était bien là à se raconter les derniers mois passés, à prendre les nouvelles fraîches et se marrer dans le carré comme si nous nous étions quittés la veille. Alors pourquoi ce besoin de repartir, qui plus est, vers le Nord ? 

Examinons la situation.

Kanaga au mouillage aux Scilly

Pour une partie de l’équipage, c’est la première trans-manche à la voile. Pour cette même partie, les souvenirs de la traversée seront variés. Les uns se rappelleront une nuit fraîche à la belle étoile, les tentatives d’accès à leur couchette ayant toutes échouées, les autres du moindre détail de leur bannette (joliment aménagée) qu’il auront pris le temps d’observer longuement, ou du rebord du pavois, ou encore du fond du seau, apparemment fort intéressant lui aussi…
Les aînés, arborant un teint vert-olive, diront, non sans amertume à leur progéniture : « Tu râles ? Pourtant d’habitude tu veux toujours faire des tours de montagnes russes supplémentaires ».
Ah, le mal de mer…
La marmaille, pourtant de nature acrobatique, n’y résiste pas toujours. Il y a peu, à bord de Kanaga, une scène assez rocambolesque a eu lieu dans le carré. Deux mères et quatre enfants y siégeaient : l’une était plongée dans une grande réflexion face au fameux seau, pendant qu’un des premiers marmots dormait à poings fermés. Un second était enfermé aux toilettes depuis 20 bonnes minutes, pendant qu’un troisième se laissait surprendre par son état bizarre et les caprices de son estomac, ce qui acheva la première…La 4ème enfant, de moins d’un an, imperturbable, pleurait réclamant sa pitance auprès d’une maman qui commençait à se sentir dépassée par cette cascade d’évènements et se sentait à son tour envahir par le mal… de mère. Dans ces cas là, il faut aller chercher loin pour se souvenir que oui, oui, oui on aime naviguer.

Mais, revenons à cette trans-manche. Chacun donc se concentre pour arriver à bon port, enfin ,surtout, dans le meilleur état possible. Le lever du soleil sur l’archipel des Scilly effacera en quelques minutes les quelques désagréments causés par la navigation…

Un voilier croisant au large des Scilly

Nous faisons deux jours d’escale dans ces îles improbables, hors du temps. Les habitants y proposent des produits locaux sur le pas de leur porte. La particularité c’est qu’ils ne sont pas là, vacants à d’autres occupations, et qu’ils vous font confiance pour mettre les quelques sous demandés dans la petite boîte prévue à cet effet. On a eu beau chercher, on n’y a vu ni webcam, ni pitbull féroce qui se jetterait sur le visiteur qui aurait l’idée de filouter. Et ça marche.

Malgré toute la sympathie que nous inspirent ces scilliens, il nous faut déjà repartir vers la Cornouaille car les prévisions météo ne sont pas des plus clémentes.

La mer est formée aux abords de la Cornouaille. Remarquez au passage notre belle et nouvelle prame Laïta…

C’est, pour la même partie de l’équipage, la première trans-scillienne — pourquoi pas, vous allez voir, c’est à peu près aussi inconfortable que le RER aux heures de pointes. Nous avons beau essayer de choisir la meilleur conjoncture, il nous faudra composer avec la marée contre les courants pour nous mettre à l’abri à temps. Nous nous faisons balloter comme un bouchon de liège dans une bassine. A l’intérieur du bateau, le mal de mer n’est plus, mais le roulis oblige les uns et les autres à s’accrocher à tout ce qui traîne. Pas de chance, c’était le paquet de couscous, vous reculez de 4 cases. Bien ! c’est la rampe de la descente, vous parvenez à vous hisser — non sans difficultés — pour rejoindre l’équipe de pont. Là-haut c’est pire, ça bouge, ça flap flap, il pleut des cordes et vous ne pouvez même pas prendre de photos pour immortaliser le moment parce que vous craignez pour votre appareil. « Quand est-ce qu’on arrive ? » demande une voix timide… « Bientôt, bientôt… » En bas, certains commencent à se dire qu’ils auraient mieux fait d’aller au Portugal en vélo…et on se demande à nouveau pourquoi on aime tant faire du bateau…

Pour lutter contre le roulis et ou le mal de mer, nous conseillons… la sieste ! Testée et approuvée.

Puis nous passons la « Land’s End » et constatons qu’après la fin du monde, nous sommes enfin peinards ! La mer se calme avec une houle structurée, de superbes lumières baignent la Cornouaille et le Saint Michael’s Mount apparaît, puis le port de Penzance qui sera notre abri pour quelques jours.
Alors que le soir, secs et ayant retrouvé notre sens de l’équilibre, nous commentons les évènements de la semaine, le mal de mer et le roulis sont évoqués sur un ton léger, voire plaisantin !
C’est la magie et le mystère de la navigation : cette propension à oublier les moments de galère, à être heureux du temps passé en mer, et pire…vouloir y retourner !

Vous y comprenez quelque chose vous ?

A suivre…

Graines d’îles, ou enquête sur le caractère des cailloux

Journal de bord
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Kanaga au mouillage veille sur les cailloux, à Herm

Pendant 15 jours, Kanaga a navigué dans la Manche, quittant les Anglo-Normandes pour se diriger vers la Bretagne. L’occasion d’étudier une question toute à fait intéressante : le tempérament des cailloux. Résultats de l’enquête en direct de l’AberWrach’ où nous venons d’arriver. C’est discrètement que Kanaga a quitté Cherbourg.

Deux jours avant le Queen Mary 2 était passé par là, mais avait fait tellement de grabuge que les cailloux se sont écartés sur son passage, ouvrant le passage de la grande rade. Pas moyen d’en interviewer un. Notez que vu le gabarit du navire, mieux vaut ne pas s’y frotter de trop près.

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Quand le Queen Mary 2 quitte Cherbourg, les cailloux s’écartent sur son passage…

Donc pour nous pas de corne de brume ni bateaux ambassadeurs, mais juste l’objectif de rejoindre Alderney, la première des Anglo-Normandes. Ici, la plupart des cailloux en cours de croissance ont été utilisé pour faire des fortifications. Impossible de les faire causer : secret-défense qu’ils m’ont répondu. Des cailloux mutiques ?

L’enquête a donc continué à Guernesey. Pour ce faire, Kanaga s’est confronté au Raz Blanchard avec succès. Il s’est fait rincé tout le long par une pluie diluvienne, mais n’en avait que faire -contrairement aux barreurs, trempés jusqu’au slip…Là, les cailloux sont encore trop occupés à lire les écrits de Victor Hugo qui y a vécu 15 ans, exilé, avec vue sur la France. Des cailloux littéraires ?

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Des cailloux littéraires 

Ni une ni deux, on a mis les voiles vers Sark. Nous y avons trouvé quelques rochers coopérants. Ils se montraient peu à peu, ici et là dans le soleil couchant. Cette île pour pousser a fait appel à un sculpteur spécialisé qui lui a dessiné une sorte d’isthme perché que l’on appel la coupée. Si vous êtes sujets au vertige, mieux vaut vous abstenir d’aller voir de près…Des cailloux aventuriers ?

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La Coupée de l’île de Sark
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…Et les cailloux aventuriers plus bas…

Puis, dans notre étude, l’inventaire n’aurait été exhaustif sans s’arrêter à Herm. Les plus courageux s’y sont baignés, pour être caillou à la place du caillou : plongé dans une eau fraîche selon les manifestants, froide selon la police. Comment tu veux pousser dans des conditions pareilles ? Pas étonnants qu’ils soient nombreux et affleurants à la surface, impossible d’émerger ici. Ah les cailloux plongeurs…

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Les cailloux plongeurs

Car oui le caillou vit longtemps sous l’eau. C’est ce que l’on remarque très vite en arrivant aux abords des côtes Bretonnes. Ainsi à Paimpol, nous avons pu les deviner, juste sous la surface, guettant la moindre quille étourdie. Ces cailloux-là seraient-ils fourbes ou est ce de la timidité ?

Difficile à dire, à Bréhat beaucoup gardent le silence, trop contents de ne faire qu’un avec des façades de moulins ou de Manoirs avec vue sur mer mais les pieds au sec. Des cailloux snobs ?

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Les cailloux à moulins…

En revanche aux sept îles, les cailloux qui s’expriment n’hésitent pas à prendre de la hauteur. Arrosés quotidiennement par le guano de milliers de fous de Bassan, il semblerait que cet engrais naturel leur ait donné la force de croître sereinement. Bien que sur cet archipel, lorsque la mer se retire entre deux îles, le promeneur découvre que les eaux translucides abritaient un haut fond.. Cailloux farceurs alors ? Peut-être.

 

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Une graine d’île aux Sept îles

L’investigation de Kanaga se poursuit à l’île de Batz, où décidément il faut serrer la quille et les dents pour slalomer entre les roches. On y a rencontré un sympathique kayakiste-cueilleur-pêcheur, un local assurément qui lui n’a pas eu l’outrecuidance de se promener avec 2,4m de tirant d’eau en terrain miné. Bravo, on va encore nous prendre pour des touristesmalrenseignés.

Ceci étant, les cailloux, qu’ils soient mutiques, aventuriers, plongeurs, fourbes, timides, farceurs ou mineurs, poussent et disparaissent au gré des marées…nous offrant des paysages variés et surprenants, propices à l’imagination ! Qui sait, certains un jour deviendront une île, avec encore de superbes mouillages à nous offrir.

Bon caractère ou pas, on les aime bien ces cailloux.

A suivre…